L’adduction d’eau potable d’Ouveillan, le rapport de l’ingénieur des Ponts et Chaussées du 22 mars 1876 (1ère partie)


Les archives départementales de l’Aude conservent dans la série 2 Op 2242 les documents relatifs à l’assainissement et aux fontaines publiques d’Ouveillan.


Je vous propose donc de découvrir à travers 2 articles, la mise en place de l’eau potable à Ouveillan avec le système de pompage installé sur la commune de Sallèle, comportant des moulins à vent à partir du projet de 1876, puis des pompes à partir du projet de 1902. Les fontaines et les abreuvoirs feront partie de ce dispositif mais les archives ne conservent pas de plans de leur localisation.

A partir des années 1870, le village d’Ouveillan se trouve dans une situation très défavorable au point de vue de son alimentation en eau potable pour les besoins domestiques.

La mairie envisage donc à partir de 1876 de mettre en place la distribution d’eau potable. Pour ce faire, la mairie fait appel aux Ponts et Chaussées qui vont étudier le dossier et produire un rapport présentant à la fois la situation du village et des propositions techniques.

Dans ce premier article, j’ai retranscrit le rapport de l’ingénieur des Ponts et Chaussées :

" Le bourg d’Ouveillan se trouve dans une situation très défavorable au point de vue de son alimentation en eau propre aux besoins domestiques. Placé sur le sommet d’un coteau isolé de toutes parts, au pied duquel se voit un étang récemment asséché et encore fiévreux, il est presque complètement dépourvu d’eau potable ; et cependant cet élément de salubrité y serait tout particulièrement précieux. D’autre part la population atteint le chiffre de 1800 habitants ; le pays est productif et riche ; les accroissements d’impôts y sont aisément supportés, comme l’a prouvé l’opération encore récente du dessèchement de l’étang, dont les finances de la commune sont dès aujourd’hui complètement libérées. On comprend donc que la municipalité ait pensé que le moment était venu d’entreprendre une opération, moins coûteuse, mais non moins utile que la précédente : celle qui est prévue dans le projet, que le présent rapport a pour but de justifie.

A moins d’aller prendre à la rivière de la Cesse, à une distance considérable et au prix d’énormes dépenses, les eaux nécessaires aux besoins de la population d’Ouveillan ; on ne peut recourir qu’à l’établissement de machines élévatoires. Nous avons donc cherché tout d’abord, à proximité du bourg, des eaux saines et abondantes qu’on pût élever avec le moins de frais possibles. Cette opération exécutée dans le courant de l’année dernière a pleinement réussi. Une galerie filtrante établie dans une propriété privée, sur la rive droite du Rec Audié et à 3 kilomètres d’Ouveillan a procuré un volume considérable, qu’on peut évaluer à 20 ou 25 litres par seconde, d’une eau fraîche et limpide paraissant avoir toutes les qualités requises. Des tuyaux en fonte de 0,10 m de diamètre les recueillent en partie seulement, environ 5 à 6 litres par seconde et les amènent déjà sur le point où doivent être établies les machines élévatoires.Les bases du projet étant ainsi justifiées et arrêtées, nous allons brièvement décrire les travaux qui permettront de réaliser le but qu’on se propose.


Prises à une altitude de 18 m environ au dessus du niveau de la mer, les eaux doivent être élevées à celle de 50 m. Pour y parvenir on ne peut utiliser que la force de la vapeur ou celle du vent. La première est docile et commode d’établissement ; mais elle es coûteuse d’entretien et comporte de fréquentes réparations, qui deviennent fatigantes quand on n’est pas à portée d’un grand établissement industriel de machinerie. La seconde est capricieuse, mais dans la contrée elle est presque toujours disponible ; et l’expérience faite à Montréal près de Carcassonne, montre qu’elle est susceptible de donner de bons résultats et parfaitement appropriée en outre aux circonstances locales. C’est donc à elle que nous aurons recours.


Le volume d’eau nécessaire aux besoins d’un centre de population n’a rien de bien fixé, puisque selon les localités il varie depuis 5 litres jusqu’à 400 litres par habitants et par jour. Mais on peut dire qu’avec 5 litres seulement il y a souffrance ; avec 10 litres il y a pénurie ; avec 25 litres on satisfait amplement aux besoins du ménage ; avec 50 litres aux besoins de toute nature, sauf ceux de la voie publique ; et que pour ces derniers, il faut un volume supplémentaire d’au moins 25 à 50 litres, soit en tout de 75 à 100 litres par habitants et par jour.


Quand on utilise la force du vent, il faut nécessairement prévoir un réservoir qui permette de parer aux interruptions de marche des moteurs. L’expérience acquise à Montréal a montré que cette intermittence dans l’action du vent est parfois de 4 jours et jamais plus de six jours dans nos contrées. Nous avons admis que dans ce dernier cas, on distribuera aux habitants un volume de 100 m³ par jour, soit 55 litres par tête ce qui entraîne pour le réservoir une capacité nécessaire de 600 mètres cubes.


Un moulin à vent du système Alba de Montréal, grand modèle donne avec bon vent et pour des hauteurs d’élévation de 30 à 40 mètres (dans l’espèce la hauteur d’élévation sera de 35,80 m), un début e 1 litre 2/3 par seconde, avec vent ordinaire il ne donne qu’un litre. Dans le premier cas, c’est un volume journalier de 130 m³ et de 86 m³ dans le second.Dans ces circonstances et afin de parer à toute interruption de service, il nous a paru qu’il ne fallait pas hésiter à prévoir l’établissement de deux moulins, d’autant plus que cet accroissement de dépense est relativement minime eu égard au total des travaux.


Ces deux moulins pourront ainsi forunir, par bon vent, un volume de 3,33 litres par seconde soit 288 m³ par jour ou 160 litres par habitants. Par vent ordinaire, ils donneront 2 litres par seconde soit 174 m³ par jour ou 96 litres par habitants. Enfin quand le vent ne soufflera pas, le réservoir permettre encore de distribuer 100 m³ par jour soit 55 litres par habitant.

Tels sont les résultats qui seront obtenus aux moyens des dispositions auxquelles nous nous sommes arrêté après mûr examen ; elles assureront une ample satisfaction des besoins de la population d’Ouveillan ; elles ne lui imposeront pas cependant des sacrifices qui soient hors de proportion avec les ressources dont elle peut disposer non plus avec l’importance des intérêts de premier ordre qui, pour elle, sont en jeu dans la question pendante.
Deux moulins à vent avec pompes aspirantes et foulantes seront établies sur le bord du Rec Audié, en un point où ils seront également bien battus par les vents régnant de la contrée, le NO et le SE.

Une conduite de refoulement de 506 m de longueur ayant 0,08 m de diamètre, montera l’eau dans le réservoir qui sera établi à flanc de coteau et à mi-hauteur du monticule au pied duquel passe le chemin de l’étang. De ce réservoir partira une conduite d’amenée de 0,10 m de diamètre et de 2750 m de longueur, établie tout au long et sur le bord du dit chemin et au moyen de laquelle les eaux seront amenées au village.


Toute la canalisation sera en fonte et pourra débiter le volume entier de 3 litre 1/3 par seconde, que fourniront les moulins par bon vent. Mais ce volume entier ne se déversera dans la conduite d’amenée que lorsque le réservoir sera déjà rempli. A cet effet, elle ne sera ordinairement alimentée que par un tuyau qui partira de la chambre supérieure par laquelle doit s’effectuer tout à la fois le remplissage t le trop plein du réservoir ; quant à la prise d’eau par la bonde du fond, elle ne sera ouverte que pendant les intermittences du vent, ou tout au moins ne le sera-t’elle d’ordinaire que dune façon partielle et seulement pour assurer quand même l’alimentation de la première borne fontaine située à l’entrée du village, afin qu’on ne se trouve jamais complètement pris au dépourvu. 


De cette manière la réserve entière contenue dans le réservoir sera sûrement ménagée et néanmoins toute l’eau qu’élèvera la force du vent sera mise à la portée des habitants. Ajoutons toutefois que pour donner quelque régularité au fonctionnement ainsi prévu, l’on a eu le soin de tenir le tuyau de prise à 0,14 m plus bas que la naissance des voûtes ; laquelle est placée au niveau même du trop plei proprement dit ; de la sorte il pourra se loger encore, dans le réservoir, un volume de 30 mètres cubes au dessus de la bouche du tuyau de prise (et indépendamment des 61 m³ que contiendra le réservoir au-dessous de ce même niveau), ce qui servira à régulariser quelque peu le débit de la conduite, malgré les variations d’intensité continuelles que présente toujours l’action du vent le plus régulier.
Enfin, l’eau ainsi amenée alimentera 8 bornes fontaines et un abreuvoir. Celui-ci sera établi à l’entrée du village et pourra être rempli soit par une prise directe faite sur la conduite soit par les eaux perdues de la première borne. Les fontaines seront d’ailleurs à repoussoir, mais elles seront munies d’une manette qui permettra d’en régler le débit de manière qu’il soit restreint mais continu, le repoussoir ne devant servir qu’à augmenter le débit au moment du puisage. De la sorte la propreté des rues sera assurée d’une manière permanente, tout en limitant la dépense journalière selon le volume dont on pourra disposer.
Ajoutons que la borne n°4 est si haut placée que nous n’avons pas cru devoir disposer les choses de manière à assurer son alimentation continue. Il eut fallu pour cela remonter le grand réservoir de 5 mètres ce qui eut rendu sensiblement difficile le mouvement des moulins et augmenté par suite la durée des interruptions de marche pendant les calmes de vent. Il était d’autant plus opportun d’éviter cet inconvénient qu’avec un jeu intermittent, comme celui que comporte l’emploi de bornes fontaines à repoussoir, la borne en question sera presque toujours alimentée et que le contraire ne se produira que lorsque un grand nombre d’entre elles seront à la fois ouvertes en plein ; or cette coïncidence ne se produira que très rarement sans doute.
Nous avons peu de chose à dire des dispositions techniques adoptées pour les ouvrages d’art. Le seul de ces ouvrages qui mérite quelque mention est le réservoir. Il sera établi en déblai, sur le flanc d’un coteau rocheux, de manière que les fouilles puissent fournir tout le moellon nécessaire aux maçonneries de l’entreprise. La couverture sera isolée des murs du pourtour (sauf le mur arrière qui n’est qu’un simple revêtement du talus rocheux sur lequel les voûtes peuvent venir buter sans crainte), afin quelle ne puisse en aucun cas venir buter contr’eux et les ébranler. Enfin il sera divisé en deux parties égales par un mur de séparation pour que les réparations et le nettoyage puissent être faits sans suspendre le service de la distribution. Les voûtes seront d’ailleurs recouvertes d’une couche de terre de 0,30 m d’épaisseur qui empêchera de trop sensibles variations de la température intérieure.
Pour le reste des ouvrages d’art, qu’il nous suffise de dire qu’on a eu le soin de prévoir tous les regards de distribution, de vidange ou de ventouse, qui étaient nécessaires sur le trajet de la conduite afin d’en assurer le fonctionnement régulier et facile.
Au point de vue de la rédaction du projet, nous devons faire remarquer que nous n’avons pas compris dans l’entreprise proprement dite la fourniture du mécanisme des moulins, non plus que celle des tuyaux en fonte, des robinets et des bornes fontaines. l’intermédiaire de l’entrepreneur pour ces diverses fournitures, eut été sans utilité aucune et il aurait eu le grave inconvénient d’accroître sensiblement la dépense, puisqu’en ayant recours à lui on aurait dû lui octroyer un bénéfice légitime. Il est donc tout aussi simple et beaucoup plus avantageux de commander directement ces diverses fournitures aux usines spéciales qui les produisent et c’est ce qui sera fait par monsieur le maire lui-même assisté du directeur des travaux.
C’est pour cela que l’estimation de la dépense a été divisée en deux sections : la première pour les travaux faits à l’entreprise qui s’élèvera à la somme de 26 168, 87 francs et la seconde pour les fournitures qui doivent être commandées directement aux fabricants spéciaux, sans l’intermédiaire de l’entreprise et qui se monte à 34 932,04 francs.
En y ajoutant 5565,76 francs pour les indemnités de terrain, la surveillance des travaux et les dépenses imprévues qui surgiront en cours d’exécution ; plus enfin les honoraires de l’homme de l’art, on arrive à la dépense totale de 70 000,00 francs.
Comme conclusion, j’ajouterai qu’il convient de soumettre le projet ci-joint à l’approbation du conseil municipal d’Ouveillan, puis à la sanction préfectorale. L’adjudication ne devra d’ailleurs être ouverte que lorsque tous les fonds nécessaires seront réalisés et versés dans la caisse du receveur municipal, si l’on veut obtenir une bonne et prompte exécution et n’occasionner en outre à la circulation dans les rues, qu’une gêne de courte durée.
Carcassonne le 22 mars 1876.
Bouffet
L’ingénieur des Ponts et Chaussées"

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