L’étang d’Ouveillan est une cuvette naturelle creusée durant
l’âge glaciaire par les vents et elle ne comporte pas d’exutoire
naturel pour évacuer les eaux de ruissellement lors des épisodes
pluvieux méditerranéens. Il est appelé étang salé dans
les textes médiévaux alors qu’il n’a jamais été en contact
avec la mer, contrairement à l’étang de Capestang qui, à
l’époque antique, était un ancien golfe marin. À Ouveillan, la
formation du sel résulte de la concentration des sels minéraux
naturellement contenus dans les roches qui, en se décomposant, sont
libérés par l’érosion. La pluie et le ruissellement les
entraînent au fond de la cuvette où ils restent en suspension.
Quand l’eau s’évapore, ils se concentrent et se déposent en
couche plus ou moins épaisse, en fonction de la hauteur d’eau :
une épaisseur de 8 à 9 pouces (22 cm env.) est notée en 1817
(Gazette de France, 25/06/1817). La récolte du sel se fait en
raclant la couche et, de ce fait, le sel n’avait pas la qualité de
celui récolté dans les salins traditionnels en raison des
nombreuses impuretés mélangées.
L’insalubrité de l’étang est reconnue de longue date et il a
fait l’objet d’au moins une tentative de dessèchement au cours
du Moyen Âge. Les plus anciennes mentions de l’étang salé
remontent à la fin du XIIe siècle, à l’occasion de litiges
opposant les ayants droits que sont le chapitre Saint-Just de
Narbonne, Raimond-Bérenger d’Ouveillan et trois autres seigneurs
laïcs. En 1188, un jugement d’Ermengarde, vicomtesse de Narbonne,
décide que les droits sur la pêche, la chasse et le sel seront
partagés en trois parts et non par moitié comme le souhaitaient le
chapitre de Saint-Just et le seigneur d’Ouveillan. En 1222,
l’abbaye de Fontfroide possède des droits sur l’étang et
obtient un nouveau partage avec une part prépondérante sur les
autres ayants droit (5/12e). D’autres conflits éclatent
aussi au sujet du sel que Fontfroide revendique également, en 1204
puis en 1259 où il est demandé un bornage des terres concernées,
et encore en 1266 où les droits du sel sont partagés en deux. Par
la suite, l’étang semble avoir été asséché avant 1305 pour
être cultivé jusqu’au milieu du XIVe siècle malgré la forte
salinité des terres que rapportent des textes contemporains. Il n’y
a aucune précision sur la façon dont l’étang fut asséché et
l’échec de la mise en valeur s’expliquerait, selon Jean-Louis
Abbé, par la modification des conditions climatiques.
L’étang demeure mal documenté durant l’époque moderne et
semble délaissé par ses ayants droit en raison de la pauvreté de
ses sols. Son insalubrité est cependant relevée au XVIIIe siècle,
comme un peu partout en Languedoc. Au XIXe siècle, l’étang est
clairement indiqué comme étant la source des problèmes sanitaires
(épidémies de fièvre à répétition) que traverse Ouveillan. La
cuvette reçoit les effluents de la distillerie Barlabé, installée
traverse du Castellas, à l’angle de la venelle rejoignant le
boulevard Robespierre, ainsi que les eaux usées du village.
En 1849,
le maire de la commune adresse une pétition en date du 30 août
1849, les habitants du village d’Ouveillan ont signalé à
l’administration l’insalubrité de l’étang d’Ouveillan […]
et l’ont supplié de pourvoir à son dessèchement.
Le 5
novembre 1849, le ministre des travaux publics charge les ingénieurs
du service hydraulique d’instruire le dossier de dessèchement de
l’étang. Grâce à l’étude rédigée par l’ingénieur de
Boisanger, du service hydraulique de Carcassonne, on apprend que les
domaines ont vendu, en 1820, l’étang pour la somme de 3035 F à
des propriétaires particuliers, à l’exception de quelques
parcelles du franc-bord et du bord et qu’aucune réserve
relative à l’insalubrité ne figure dans l’acte de vente qui ne
comprend qu’une interdiction stricte de sauner pour des raisons
fiscales.
Mais en 1835, les propriétaires obtiennent
l’autorisation d’établir une saline dans l’étang. D’après
le plan topographique de l’étude de dessèchement de l’étang
(AD11, SW2636), la saline est installée sur la rive est de l’étang,
entre la station d’épuration actuelle et la ferme de l’Etang
(ferme Goixart) qui, à l’époque sert de logement au saunier
tandis qu’une cabane, destinée au douanier, est construite en
contrebas du chemin, a quelques distance au nord de la ferme. La
saline est aménagée avec des digues qui permettent de conserver une
hauteur d’eau suffisante pour concentrer le sel pendant
l’évaporation.
Ponts
et Chaussées. Département de l’Aude, Service hydraulique. Projet
d’assainissement de l’étang d’Ouveillan. Plan, papier, encre
de Chine, rehauts de couleurs, échelle : 1/2500.
Dressé par de Boisanger, ingénieur ordinaire et Lefort, ingénieur
en chef, Carcassonne le 10 octobre 1850, signé de Boisanger, modifié
en rouge (ill.), Carcassonne, le 2 février 1861. [le Nord est à
gauche] (AD 11, SW 2636)
L’étang
d’Ouveillan, extrait de la carte IGN 1/25000. Emplacement de la
saline. Le logement du saunier correspond au petit immeuble actuel de
la ferme Goixart, l’ancienne bergerie divisée en logements
aujourd’hui
Le rapport d’étude dressé par l’ingénieur hydraulique en 1850
(AD 11, SW 2367) apporte quelques détails sur le fonctionnement de
la saline, notamment son alimentation en eau : comme l’eau de
pluie ne suffisait pas à la production de sel, les propriétaires
ont détourné de l’eau de la Nazoure au nord du village, opération
menée sans autorisation et sans susciter d’opposition des
riverains. L’eau est acheminée vers l’étang par un canal au
tracé en baïonnette compliqué qui part de la Nazoure en aval du
pont de Preissan, passe au pied de la Rouquignole pour aboutir dans
l’étang par un passage souterrain. A l’extérieur de la saline,
la construction des digues a empêché le renouvellement des eaux et
concentré dans sa partie nord les matières organiques de la cuvette
qui sont à l’origine des pestilences et des fièvres qui ravagent
le village.
Tracé
du canal de dérivation des eaux de la Nazoure pour alimenter les
salines de l’étang, extrait de : Ponts
et Chaussées – département de l’Aude, Service hydraulique. M.
Lefort ingénieur en chef, M. de Boisanger, ingénieur ordinaire.
Projet d’assainissement de l’étang d’Ouveillan, plan,
échelle : 1/10000, papier,
encre noire. Dressé
par l’ingénieur ordinaire de Boisanger, Carcassonne, le 10 octobre
1850, modifié en rouge, le 2 février 1861. (AD11, SW 2367).
La saline ferme en 1847, faute de rentabilité économique. L’étang,
de nouveau délaissé redevient un marais. En 1849, une crue
extraordinaire des eaux submergea pendant l’hiver une zone de 20
ha,parmi lesquels 8 ha situés près du village étaient en culture
et ont été frappés de stérilité pour plusieurs années par
l’imbibition des eaux saumâtres, lorsque les eaux se sont
retirées, ces terrains ont produit des émanations infectes,
l’épidémie s’en est bientôt suivie… Ce sont des gaz
sulfurés dégagés par la fermentation des matières qui sont à
l’origine l’épidémie de fièvre qui décime le village :
en mai 1850, sur une population de 1475 habitants, 527 personnes
malades et déjà 15 morts.
C’est cette situation qui pousse le
village à demander l’aide de l’Etat pour entreprendre le
dessèchement de l’étang. L’auteur de l’étude rappelle
cependant que cette opération ne peut être prise en charge par
l’Etat car la saline n’étant pas classée au titre des
établissements insalubres (décret du 15/10/1810), il n’y a pas eu
d’enquête préalable à son installation. Dans ce cas, l’étang
ne peut pas être considéré comme un marais dont le gouvernement
peut ordonner le dessèchement (loi du 16/09/1807). Le dessèchement
de l’étang d’Ouveillan ne peut se faire que par une
expropriation préalable pour cause d’utilité publique ou avec le
consentement amiable des propriétaires. Les frais doivent donc
incomber à la commune sous forme de souscription des habitants et
une subvention de la commune, proportionnée à leurs ressources, ce
qui permettrait ensuite à l’Etat et au département de les
seconder dans l’entreprise. La commune devra donc, avec les
habitants, préparer les voies, organiser l’entreprise et
s’entendre à l’amiable avec les propriétaires pour commencer
l’entreprise…
Ponts
et Chaussées – département de l’Aude, Service hydraulique. M.
Lefort ingénieur en chef, M. de Boisanger, ingénieur ordinaire.
Projet d’assainissement de l’étang d’Ouveillan, plan,
échelle : 1/10000, papier,
encre noire. Dressé
par l’ingénieur ordinaire, Carcassonne, le 10 octobre 1850,
modifié en rouge, le 2 février 1861.
1 - le dessèchement de l’étang par le creusement d’un canal
d’évacuation (et un tunnel) des eaux vers l’étang de Capestang
via le ruisseau de Fontbabouly puis la Nazoure ;
2 - le dessèchement par le creusement d’un canal, avec encore un
tunnel, pour évacuer les eaux vers le sud-est et le canal
d’atterrissement (la Saignée) qui rejoint l’étang de
Capestang ;
3 - l’endiguement de l’étang pour limiter l’apport des eaux de
pluie et le creusement d’un canal pour récupérer les rejets de la
distillerie et les eaux usées du village pour les conduire vers la
Nazoure.
Ce
dernier projet est le moins cher des trois mais il n’est pas retenu
car son efficacité ne semble pas assurée, notamment en ce qui
concerne la rétention des eaux de pluie. Le 2e projet
n’est pas non plus retenu car un peu compliqué. Le canal partait
de l’angle sud-est de l’étang et s’alignait ensuite sur l’axe
de l’ancien chemin d’Ouveillan à Cuxac par le pont des Quatorze
Mètres. Seule la proposition 1 retient l’attention de
l’administration car elle assure un réel assainissement de la
cuvette mais son prix reste élevé et à la charge de la commune :
l’estimation des travaux est de 170000 F auxquels il faut
retrancher la plus value des terres reconquises, d’un montant de
plus de 60000 F, soit un solde de plus de 100000 F à la charge de la
commune.
Description sommaire du projet d’assainissement n° 1 :
Le
fond de la cuvette se situe à la cote de 7.35 m au-dessus du niveau
de la mer, le creusement d’un canal d’évacuation est donc possible pour
évacuer les eaux de l’étang. La cuvette est entourée de collines
culminant entre 25 et 30 m d’altitude, sauf à l’est où un col
se situe à 20,11 m, 12,76 m au-dessus du point bas de l’étang, en
direction du ruisseau de Fontbabouly. L’ingénieur choisit donc cet
axe pour évacuer l’eau vers l’étang de Capestang dont
l’altitude du fond (3,50 m) autorise une pente de 0,00026 par mètre
au canal d’exhaure. Cette solution reste la plus simple selon le
rédacteur puisqu’elle se réduit au creusement d’un canal
jusqu’à la Nazoure et à l’élargissement du lit de cette
rivière jusqu’à l’étang de Capestang.
Le projet d’assèchement prévoit le creusement de 1300 m de fossés
dans la cuvette pour récupérer les eaux et les acheminer, avec une
pente de 0,50 m/km, vers la pointe nord-est de l’étang, au niveau
de l’actuelle station d’épuration. Le point bas se situe à la
cote 6,98, 37 cm sous le point le plus bas de l’étang. La section
étang-Nazoure s’étend sur 3830 m de long, selon une pente de 0,60
m/km. La partie souterraine mesure 1343 m de long, à partir de la
route départementale, pour une profondeur maximale de 13,12 m. Le
tunnel aura une hauteur sous voûte en plein-cintre de 2,50 m sous
clé et il est prévu de creuser la galerie au pic car la roche est
peu présente et la solidité de l’argile permet d’amincir la
voûte à une épaisseur de 30 cm, de 0,50 m pour passer sous les
routes et chemins. Il conviendra de curer le lit de la Nazoure des
dépôts actuels qui empiètent sur son lit et de porter la largeur
du lit de 1,50 m à 4 m. Le pont de la Nazoure, sous la route de
Cuxac à Montels, n’a pas de débit suffisant en cas de crue mais
il est prévu que les eaux en surplus se déversent dans le canal
d’atterrissement.
Une fois les travaux réalisés, la mise en culture des terres
récupérées pourra commencer mais la présence du sel les
stérilise. Il est donc prévu de noyer longuement ces terres pour
leur enlever le sel et, pour cela, il faut beaucoup d’eau douce. Le
rédacteur de l’étude propose de remettre en service la rigole
creusée par les propriétaires de la saline : large de 0,60 à
1 m, elle mesure 2147 m de long, dont 550 m en souterrain, pour
déboucher 3 m au-dessus de l’étang. L’inconvénient majeur de
la solution demeure la faiblesse du débit (moins de 100 l/seconde en
été) et la solution d’une prise d’eau dans le canal reste
possible mais peu réaliste car les propriétaires du canal se
réservent l’eau durant la période estivale. Finalement, cette
solution sera abandonnée.
Le projet d’assèchement remis en mains propres, c’est la commune
qui doit prendre le relais pour la poursuite de l’opération,
sachant que le budget est à sa charge pour l’essentiel et que
l’Etat et le conseil général de l’Aude ne pourront
subventionner le projet que si la commune s’engage dans son
financement par un emprunt. De ce fait, les choses vont rester en
l’état pendant plus de dix ans.
Sources :
AD11, SW 2367
Avant-projet des travaux à faire pour l’assainissement de
l’étang d’Ouveillan. Mémoire de l’ingénieur ordinaire de
Boisanger, 10 octobre 1850,
Procès-verbal des délibérations
du département de l’Aude, session de 1850. Carcassonne :
imprimerie de Pierre Polère Neveu, 1850, p. 67,
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5679559h/f69.image.r=%C3%A9tang%20ouveillan?rk=85837;2
ABBE, Jean-Loup. A
la conquête des étangs. L’aménagement de l’espace en Languedoc
méditerranéen (XIIe-XIVe siècle). Toulouse : Presses
universitaires du Mirail, 2006, 326 p.
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