Le canal du Midi, inscrit au patrimoine mondial, sépare en
partie la commune d’Argeliers de celle d’Ouveillan. Jusqu’en 1782, le premier
pont construit sur le canal marquait le début du tronçon de canal commun entre
les deux communautés.
Vers le nord, la limite séparative suivait l’ancienne
route. La réfection du réseau routier au XVIIIe siècle a quelque peu modifié
l’état des lieux en repoussant la nouvelle route vers le nord.
Le pont actuel, placé sur la route départementale 11 dite la
Minervoise, enjambe le canal du Midi, à quelques encablures à l’est d’Argeliers ;
il est régulièrement appelé « pont de la Provence » alors que cette
appellation n’apparaît jamais dans les documents d’archives concernant le canal
du Midi (conservés à Toulouse) et ses aménagements latéraux comme les ouvrages
d’art qui l’enjambent (Archives départementales de l’Aude et de l’Hérault).
Dans les documents relatifs à la construction du pont par l’administration des
Etats de Languedoc, il porte le nom de « pont d’Argeliers » mais les
archives du canal le désignent à plusieurs reprises sous le terme de
« pont de la Province ».
Cette appellation rappelle qu’en 1680, dans
le cadre du fonctionnement du canal du Midi construit par Riquet, les Etats de
Languedoc ont décidé que les ouvrages placés sur les grands chemins de
communication (l’équivalent de la route nationale) devaient être construits à
la charge de la province, autrement dit les Etats de Languedoc, tandis que les
ponts placés sur les chemins de traverse (les routes départementales) étaient
financés par les affaires civiles des diocèses concernés (Toulouse, Narbonne,
Saint-Pons et Béziers). Les ponts desservant les villages et leurs terres
étaient à la charge des communautés riveraines aidées par les diocèses.
La
Minervoise était à l’époque appelée « cami romieu » puis grand chemin
de Montpellier à Toulouse avant de céder sa primauté au nouveau chemin de la
poste qui passait par Coursan et Narbonne. Elle devient alors le chemin de
l’étape car elle était empruntée par les troupes royales qui se
déplaçaient entre la Gascogne et le Languedoc et faisaient étape à Cruzy.
La
construction des ouvrages sur ce grand chemin demeure à la charge des Etats de
Languedoc et donc de la Province. C’est certainement le glissement de province
en provence, dans le parler occitan, qui a provoqué la naissance de cette
appellation locale que les textes ne reconnaissent pas.
Il faut remarquer que la carte IGN du secteur mentionne un
«pont de la Province» placé en aval de notre ouvrage, au niveau du
port d’Argeliers. Cette erreur ne fait que prolonger une certaine confusion qui
a longtemps régné sur les noms des deux ponts construits sur le canal du Midi,
au niveau d’Argeliers.
Le vrai « pont de la Province » est bien celui
placé sur la Minervoise, l’autre n’étant qu’un pont de service appelé
auparavant «Pont Vieux d’Argeliers», construit vers 1712 par
Captier, un marchand de bois narbonnais. L’ouvrage sera désigné pendant des
décennies comme le «pont neuf», jusqu’à la reconstruction du pont sur la
Minervoise au XVIIIe siècle.
L’histoire de la construction des ponts sur le canal, dans le
secteur d’Argeliers est assez complexe. Le tronçon de canal de la plaine
d’Argeliers fut le dernier à être creusé, entre 1675 et 1680, et ne fut terminé
qu’au prix d’une énorme consommation de poudre noire pour venir à bout des
anciennes terrasses alluviales de la Cesse qui constituent le sous sol
géologique local entre le Somail et Argeliers.
Pour franchir le
canal, Riquet a financé sur ses fonds propres la construction du pont sur le
chemin de l’étape car rien n’était alors prévu pour leur financement. C’est le
seul cas où apparaissent, dans les archives du du canal concernant le tronçon
Castelnaudary-Béziers, des dépenses pour un pont en charpente en décembre 1676.
De fait, le pont de 1676 est équipé d’un tablier de bois reposant sur deux
culées maçonnées. C’est aussi le seul, sur le bief de la Grande Retenue,
construit avant la délibération des Etats de Languedoc de 1680. A cette époque,
le chemin de l’étape passait 160 m plus au sud que la route actuelle, son tracé
est repris par la limite de commune.
La
qualité de l’ouvrage s’est avérée médiocre puisque dix ans plus tard, l’ouvrage
est déclaré dans un état de vétusté avancée. La Province de Languedoc décide de
le reconstruire à ses frais en décembre 1686 et, en mars 1687, Pierre Vidal,
entrepreneur de Vieussan, signe un contrat pour la construction d’un pont en
pierre dont la réception est faite en 1688.
Curieusement, le pont disparaît
ensuite dans un certain anonymat car aucun contrat d’entretien n’est passé à
son sujet. Ce n’est qu’en 1739, à l’occasion de la signature d’une nouvelle
convention entre les propriétaires du canal, les Etats de Languedoc et les
diocèses, pour l’entretien des ouvrages d’art, qu’on s’aperçoit que le pont
d’Argeliers est resté à l’abandon durant cinq décennies. Un contrat d’entretien
est alors signé en 1741 par les Etats à l’entrepreneur Chabardès.
Après 1750, les Etats de Languedoc décident de rénover le
réseau routier en très mauvais état et les ouvrages d’art rattachés dont la
plupart sont de tradition médiévale, c'est-à-dire étroits avec un tablier en
dos d’âne très prononcé.
Le chemin de l’étape, entre Béziers et Carcassonne est
concerné car la circulation des troupes reste d’actualité et Cruzy sert
toujours d’étape aux militaires en transit. C’est à cette occasion qu’est
rectifié le tracé de la route. Garripuy, directeur des travaux public de la
Province, est chargé en 1776 de rédiger un rapport sur l’état de la route et
des ponts. C’est également lui qui dessine les plans des nouveaux ouvrages.
En
1778, la réfection du chemin de l’étape est entreprise entre Capestang et
Cabezac. Les travaux sont réalisés entre 1779 et 1782 par Jean et Joseph Baugy,
entrepreneurs à Cruzy, ainsi que l’atteste un livre de comptabilité de la
sénéchaussée de Carcassonne conservé aux A.D. de l’Aude.
Au décès des frères
Baugy en 1784, Paulet est chargé de l’achèvement du tronçon et des abords du nouvel
ouvrage. Le pont se caractérise par son profil moderne avec son tablier droit
et sa voûte en berceau segmentaire qui franchit la cuvette du canal d’un seul
jet, sans empiéter sur le chemin de halage.
L’emploi de la pierre de taille, de
moulures, la présence des armoiries de la Province sur la clé de voûte de
chaque côté, le développement de bajoyers curvilignes de part et d’autre du
tablier soulignent le côté monumental de l’ouvrage. C’est ce pont que franchit toujours la route
départementale et que les archives du canal désignent comme le «pont de
la Province» jusqu’à la fin du XIXe siècle.
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