"Voyage au pays des Rouges", Ouveillan en 1872

Le "Voyage aux pays rouges par un conservateur", (Paris, Plon, 1873) est un livre qui intéressera les défenseurs de la mémoire républicaine et aussi les gens du sud.

Sur le site internet des "Amis de 1851, pour la mémoire des résistances républicaines", René Merle présente, en 2011, le cadre de ce livre.


Le livre retrace le parcours, du 23 octobre au 24 décembre 1872, de Lyon vers le sud de la France, d'un reporter qui va voir « Les Rouges ». 
Il présente des descriptions très riches et détaillées des villes et villages à cette époque. Mais aussi et surtout une image politique intéressante de la France qui, traumatisée par la défaite de 1871, a massivement voté pour les conservateurs, plus ou moins royalistes, alors que le Sud de la France a voté pour le « le radicalisme rouge ». 

Il commence par Bollène qui « depuis deux ans, aux mains d’une municipalité radicale du plus beau rouge », « l’une des  places fortes de la démagogie méridionale » . Ce constat, il le fera aussi dans toutes les municipalités radicales qu'il ira visiter. 

L’auteur anonyme est en fait un avocat, François Beslay (1835-1883), figure importante du catholicisme social dans la période libérale du Second Empire. En 1868, Beslay est co-fondateur du journal catholique conservateur "Le Français". Il en deviendra le rédacteur en chef sous la houlette du duc de Broglie et de l’évêque d’Orléans, Monseigneur Dupanloup.
Dans ces municipalités "rouges", on exalte la République, symbolisée par une Marianne vêtue de rouge et vénérée, derrière laquelle se font des processions comme à Bollène ou en Roussillon. «Malgré les interdits préfectoraux, Marianne est partout représentée en santons, en bustes. On la salue de la Marseillaise, qui est à l'époque un chant séditieux et certains s’agenouillent au dernier couplet : « Amour sacré de la Patrie /Conduis, soutiens nos bras vengeurs/ Liberté, Liberté chérie/ Combats avec tes défenseurs ! , même dans les églises, comme dans les Pyrénées-Orientales, à Thuir par exemple ». 

Pour Beslay , on ne vit pas en « pays rouge » dans un climat rassurant d’ordre moral choisi ou subi par le reste de la France. Il y a bien « une emprise générale des Rouges », qui ont le pouvoir communal. Tout le récit fait par Beslay est un récit à charge, il est conservateur ! Mais il montre bien le climat politique de l'époque et l'anticléricalisme ambiant dans le Sud. A cette époque, apparaissent les enterrements civils qui sont l’occasion de manifestations républicaines : cortèges, prises de parole… Beslay condamne cet anticléricalisme actif et violent, comme celui des radicaux du Roussillon. Il attaque aussi l'enseignement laïc placé sous la responsabilité des municipalités.

Ces mairies radicales mettent le drapeau rouge à leur fronton, et, « si l’emblème est interdit par le préfet, on roule le drapeau tricolore pour n’en laisser apparaître que le rouge ». 

En Provence, Beslay indique que «Le thym, la férigoule, est l’emblème de la république radicale. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Ce qui est certain, c’est que les municipalités auxquelles on refuse d’arborer le drapeau rouge se consolent en mettant un bouquet de thym à la hampe du drapeau tricolore ».

A la lecture du "Voyage au pays des Rouges", j'ai trouvé quelques lignes qui retracent le climat ouveillanais de l'époque

Ainsi, dans le cadre d'une visite que ce reporter fait en Roussillon en novembre 1872, il va passer à Ouveillan. Ce récit montre qu'à l'époque Ouveillan est aux mains des radicaux, on est bien dans le Midi Rouge.

Il raconte qu'à Ouveillan "deux pauvres demoiselles, les demoiselles Gaillard, tenaient le bureau de tabacs. C'étaient, paraît-il, les deux dévotes les plus inoffensives qu'il y eut au monde. Leur tort, aux yeux des radicaux, était qu'elles allaient trop souvent à l'église. Leurs prières causèrent de l'inquiétude aux républicains d'Ouveillan". 

Et du coup, "on commença à aller en bande hurler sous les fenêtres des pauvres filles ; ces hurlements démocratiques se répétèrent plusieurs soirs". Ces demoiselles n'osaient plus sortir de chez elles et "priaient Dieu dans leur maison". Les républicains ouveillanais commencèrent donc à chanter chaque soir sous leurs fenêtres "un refrain menaçant et ordurier qu'on leur répétait en chœur". Les demoiselles étaient patientes et pensaient que ça se calmerait. "La résignation des victimes irrita les persécuteurs : on leur lança des pierres, petites d'abord, plus grosses ensuite". 

Finalement, un soir "un énorme pavé brisa la devanture de leur boutique", et "quelqu'un mis le feu et brûla leur enseigne". Les pauvres filles ont fini par quitter Ouveillan. Un vieillard d'Ouveillan de soixante-quinze ans, suspecté d'être conservateur, a été attaqué en pleine rue par un employé municipal.

Les analyses un peu courtes de Beslay ne peuvent toutefois pas rendre compte de l’ampleur et de la sincérité de l’adhésion populaire à la République rouge  comme l'indique René Merle.

On est choqué aujourd'hui à la lecture de tels agissements et surtout de savoir qu'il sont survenus à Ouveillan. Mais à cette époque, l'intolérance est de mise dans tout le pays. 

Une intolérance sournoise qui resurgit à tout moment si l'on ne se mobilise pas pour défendre la liberté de penser!










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