1850-1868 : dix
huit longues années séparent le dépôt du dossier de dessèchement
de la signature du procès-verbal de réception définitive des
travaux qui sera signé le 18 février 1868 alors que les travaux
sont réellement achevés depuis la fin de l’été précédent,
délai de garantie de 6 mois oblige. Trois entreprises se sont
succédé sur le chantier et durant toute la durée des travaux, on
assiste à une suite continue de difficultés qui vont de
l’incompétence des entrepreneurs à l’insuffisance des prix,
sous-évalués lors des différentes estimations, en passant par le
manque de main d’œuvre intéressée par le chantier et les travaux
mal faits… Deux difficultés majeures ont retardé le bon
déroulement du dossier : la maîtrise d’ouvrage du projet,
donc le financement de l’opération et la maîtrise d’œuvre. La
commune se retrouve à demander l’assèchement d’un étang dont
elle n’est pas propriétaire et, de ce fait, le projet ne peut
bénéficier de la maîtrise d’ouvrage de L’État comme le
rappelait l’ingénieur du service hydraulique dans son étude en
1850. La charge incombe donc à la commune qui doit assurer la
conduite du projet et son financement, avec des aides de l’État et
du département. Or la commune, assez pauvre, ne dispose pas de
ressources propres suffisantes alors même qu’elle doit assurer le
développement et la modernisation du village. Les Archives
Départementales de l’Aude possèdent un fonds assez complet
relatif au projet de dessèchement qui permet de suivre, presque au
jour le jour le déroulement des travaux et ses péripéties
(série SW 2636 à 2638).
L’avant-projet,
déposé en octobre 1850, est soumis à l’enquête à Ouveillan en
décembre 1851. Les habitants retiennent le 1er projet, le
dessèchement complet de l’étang avec le creusement du tunnel vers
le ruisseau de Fontbabouly. En avril 1851, le Conseil des
Ponts et Chaussées, section de la navigation, reconnaît l’utilité
du projet de dessèchement de l’étang mais recommande la réduction
de la pente de la rigole de fuite et celle de la section du tunnel
afin de réduire la dépense du projet. La réduction de la section
du tunnel devrait également permettre aux eaux de pluie d’essuyer
les terres de l’étang tout en limitant les risques d’inondation
à la sortie. Le 4 juin 1857, l’avant-projet définitif
tenant compte des modifications demandées est diffusé et l’enquête
d’utilité publique est ouverte le 20 juin.
Profils
en long et profils en travers des ouvrages prévus : Ponts
et Chaussées – Service hydraulique. Modification prescrite par
décision ministérielle à l’avant-projet concernant le
dessèchement de l’étang d’Ouveillan. M. Bleschamp, ingénieur
en chef, M. de Bordas, ingénieur ordinaire. Nivellements et profils
dressés par l’ingénieur ordinaire du Service hydraulique
soussigné, Carcassonne, le 4 juin 1857. Papier
fort, encre noire. Echelle : 1/1000 pour les profils en long,
1/1000 pour les hauteurs des profils en long, 1/200 pour les profils
en travers. (AD11, SW 2636)
Une commission se réunit à
Narbonne en juillet suivant à Narbonne pour examiner la proposition
de la commune d’Ouveillan qui souhaite rejeter les eaux dans le
canal d’atterrissement près de la départementale, projet qui
coûterait moins cher. La proposition est rejetée car elle grèverait
une nouvelle servitude sur le canal, susceptible de déboucher sur
une indemnisation. En septembre 1858, le ministre de
l’agriculture, du commerce et des travaux publics accorde une
subvention de 45000 F au projet, qui vient abonder celle de 10000 F
accordée par le département de l’Aude.
1860
1860
Le
3 mars est promulgué le décret impérial autorisant le
dessèchement de l’étang et le conseil municipal délibère le 29
avril suivant pour faire l’emprunt de 67000 F nécessaire au
financement de l’opération, remboursé par une imposition
extraordinaire, mais la mairie peine à réunir les fonds, faisant
traîner le projet. Ce n’est que le 18 octobre que MM Jean
et Antoine Fabre, propriétaires à Sainte-Vallière, s’engagent à
fournir les fonds nécessaires. Le 29 novembre est publié
l’arrêté préfectoral mais l’administration peine a financer
les frais de déplacements du conducteur de travaux du service
hydraulique faute de ligne budgétaire disponible !
1861
Le
projet est enfin prêt en janvier malgré l’opposition
de quelques riverains parmi lesquels MM Guy, Carles, Fourcade,
Félicien Sicard et la veuve Marty. Faute d’accord, une procédure
d’expropriation est une lancée. Le 2 février, le
service hydraulique de Carcassonne publie le projet définitif, qui
n’est autre que celui de 1850, avec les trois hypothèses de
travail avancées à l’époque, mais c’est bien le projet n°1
qui est retenu.
Plan
général du projet avec les 3 hypothèses de travail :
Ponts et Chaussées – département de l’Aude, Service
hydraulique. M. Lefort ingénieur en chef, M. de Boisanger, ingénieur
ordinaire. Projet d’assainissement de l’étang d’Ouveillan,
plan, échelle : 1/10000, papier,
encre noire.
Dressé par l’ingénieur ordinaire, Carcassonne, le 10 octobre
1850, modifié en rouge, le 2 février 1861. (AD 11, SW 2637)
Dans le projet définitif, le tunnel ne devait commencer qu’à partir de la route de Narbonne (RD 13) mais la couverture du canal en amont a été réalisée plus tard, certainement par Dumay, le dernier entrepreneur : Ponts et Chaussées – Service hydraulique. Etang d’Ouveillan, travaux de dessèchement de cet étang. Ouvrages d’art. Dressé par l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées soussigné, Carcassonne, le 2 février 1861, Simonneau. (AD 11, SW 2636)
Coupes
du tunnel, avec ou sans maçonneries ; coupes horizontales des puits
et coupes verticales de la galerie, avec ou sans revêtement :
Ponts
et Chaussées – Service hydraulique. Etang d’Ouveillan, travaux
de dessèchement de cet étang. Ouvrages d’art. Dressé
par l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées soussigné,
Carcassonne, le 2 février 1861, Simonneau. (AD 11, SW 2636)
Plan,
coupes longitudinale et transversale du pont sous le chemin de
Colombet (en haut) Et
sous un autre chemin :
Ponts
et Chaussées
– Service hydraulique. Etang d’Ouveillan, travaux de dessèchement
de cet étang. Ouvrages d’art. Dressé
par l’ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées soussigné,
Carcassonne, le 2 février 1861, Simonneau. (AD 11, SW 2636)
Le plan parcellaire a été
dressé par l’ingénieur Simonneau tandis que le devis et le cahier
des charges sont rédigés par le service hydraulique ; les
travaux comprennent le fossé de l’étang (1268 m de long), le
canal en galerie jusqu’au Fontbabouly (1352 m) qui sera approfondi
jusqu’au canal d’atterrissement (2104 m), le recreusement de ce
dernier jusqu’à la Nazoure (179 m), le recreusement de la Nazoure
jusqu’au pont de la RD 13 de Montels (258 m). Les travaux doivent
durer deux ans à réception de l’ordre de commencer les travaux,
faute de quoi, des pénalités s’appliqueront. Le 1er
avril, l’expropriation des terrains est faite et l’adjudication
est lancée le 11 avril mais elle est infructueuse. Un seul candidat
s’est déclaré : l’entrepreneur Bachman, celui-là même qui
réalisa la rigole d’alimentation en eau douce des salines, de la
Nazoure à l’étang et son tunnel. Bachmann demande 27 %
d’augmentation des prix mais le service hydraulique s’y oppose.
Finalement, c’est quand même Bachman qui soumissionne le 27
avril et le 19 juillet, il reçoit un ordre de service
l’invitant à commencer immédiatement les travaux. Bachman
s’exécute dès le 20 suivant. Le 24 juillet, l’entrepreneur
est sommé de mettre plus d’ouvriers sur chaque puits, l’effectif
s’avérant très insuffisant. Les travaux se poursuivent durant
l’été mais ralentissent à partir du 24 août. Bachman impute la faute au
chaufournier qui refuse de lui livrer la chaux mais il est mis en
demeure de continuer les travaux. Le 23 septembre, les travaux
sont interrompus avant de reprendre partiellement. Le rapport
d'Albouy, conducteur des travaux, fait le point de l’avancement des
travaux. Il note que les puits 1, 4 et 5 sont creusés à la bonne
profondeur, qu’il manque 3,15 m au puits 2 et 4,8 m au 3 alors que
les galeries auraient dû être commencées. Selon le rapport,
Bachman, faute de ressources, ne paye pas ses ouvriers et donc n'en
trouve plus. A cause de son indolence, les travaux coûte 50 % plus
cher que la normale ! En conclusion, Albouy demande la révocation de
l'entrepreneur qui avait été pourtant chaudement recommandé par le
maire d'Ouveillan. Le 24 octobre, Bachman dépose une demande
de résiliation en se justifiant par la forte augmentation des prix
(30 %) sur Ouveillan. L'administration explique la situation par
l'indolence et l'incapacité de l'entrepreneur qui, payant
irrégulièrement ses employés, fait face à leurs exigences de
salaire plus élevé, ce qu'ils ne font pas pour d'autres
entrepreneurs ! Face à l'incapacité de l'entrepreneur et à son
inactivité, l'administration demande le rejet qui sera finalement
acceptée par le conseil municipal d'Ouveillan le 15 décembre.
Lors de la même session, l'entreprise de dessèchement est confiée
à l'entreprise Marty, de Carcassonne. Le 30 décembre est
signé un traité entre Bachman et Marty par lequel ce dernier se
substitue au premier.
1862
La
substitution est actée le 6 janvier et fin janvier, Marty
demande l'autorisation de travailler le dimanche à l'épuisement
(arrêté préfectoral du 14 février). Le 30 janvier, Albouy
constate que les puits 2, 3 et 4 sont à la bonne profondeur et que
les entrées en galerie sont amorcées. Le 25 février, Marty
demande l'autorisation d'exploiter la chaux sur la colline du Thou à
Capestang (la colline où est implanté le château d'eau domine le
village à 1,4 km au nord). Elle est accordée le 25 mars. Mais le 22
mars Marty est sommé d'arrêter les travaux sur le puits 4 et de
blinder le puits car l'administration le soupçonne de tricher sur la
qualité de la chaux et de sous-traiter le travail, pratique
interdite par l'administration. En avril, le fondé de pouvoir de
Marty se prend de querelle avec le conducteur de travaux Albouy qu'il
accuse de travailler pour son compte personnel et porte l'affaire en
préfecture. Albouy est sommé de se justifier et l'affaire en reste
là. Le 12 juillet, les mesures de sécurité étant jugées
insuffisantes, les ouvriers désertent les chantiers et Marty fait
défaut. Il ne peut plus payer les salaires si les prix ne sont pas
augmentés de 35 %. Le 1er décembre, Albouy explique dans sa
Note sur les prix d'application que "l'insuffisance des
prix appliqués aux travaux vient de la sous évaluation des prix de
journée des ouvriers qui doivent travailler dans un souterrain"
et qu'il convient d'augmenter de 40 % le prix des travaux, ce que
refusent catégoriquement la commune et la population d'Ouveillan peu
"disposée à faire de nouveaux sacrifices [...] pour une
propriété qui ne lui appartient pas".
1863
Le
3 janvier, Marty est sommé de réparer les malfaçons
commises à la voûte du tunnel et Albouy est chargé de prendre les
mesures nécessaires pour y remédier. Pendant ce temps, la commune
peine à trouver les ressources pour poursuivre le chantier. Le 30
janvier, une nouvelle adjudication est lancée tandis que
l'administration exige que Marty "mette les ouvrages exécutés
en état d'achèvement avant de demander la résiliation de
l'adjudication" (21 février). Le 1er mars, les
travaux sont définitivement suspendus après l'achèvement du puits
n° 3 et la réparation de la voûte effectuée. L'arrêt des travaux
est effectif fin mars avec la signature du PV de cessation des
travaux le 24 mars. Le 10 avril, Marty demande la
résiliation de l'entreprise de dessèchement de l'étang
d'Ouveillan, demande rejetée par le Conseil municipal du 16 juillet
puis acceptée par une nouvelle délibération du même conseil le 20
juillet. Le 24 juillet, le conseil général des Ponts et
Chaussées examine le projet et les nouvelles propositions pour
faciliter les travaux. Il reconnaît les difficultés dues à
l'augmentation des prix. A l'origine, le prix de l'opération a été
estimé à 122000 F, y compris 12000 F d'indemnité de terrain. Pour
ce prix, la dépense était couverte par les différentes subventions
: 45000 F de l'Etat, 10000 F du département et 67000 F de la
commune. Cette évaluation apparaît sous évaluée et
"l'adjudicataire actuel, Marty, réclame une augmentation de 70
% sur le prix de la série". Aucune augmentation n'est accordée
mais l'administration est prête à accorder une résiliation à
Marty, à condition qu'il ne réclame aucune indemnité. Les
ingénieurs calculent qu'une augmentation de 74000 F (69000 F pour
les travaux et 5000 F pour les indemnités de terrain) est
nécessaire. La commune est chargée de fournir les fonds manquants
pour assurer les travaux (résiliation, réadjudication et
augmentation des prix). En conclusion le rapport conclut que "la
commune peut imposer les propriétaires qui bénéficient des
aménagements en cours" pour faire face à la dépense. Le 9
novembre, la résiliation de l'adjudication est actée par arrêté
préfectoral qui rejette par ailleurs toute indemnité à
l'entrepreneur. Il est par ailleurs demandé que les travaux soient
réceptionnés sans retard pour le règlement définitif car Marty a
abandonné tous les chantiers sans satisfaire à la mise en ordre des
ouvrages demandée par le conducteur de travaux. Dans les faits,
c'est le fondé de pouvoir qui s'est substitué à Marty en épongeant
ses dettes. Le 30 novembre, le Conseil municipal, mis en
demeure de se prononcer sur la fourniture de nouvelles ressources,
délibère sur son impossibilité de faire face à ce nouvel impôt
car la commune doit aussi honorer ses propres besoins dont la
construction d'une école, d'une mairie, d'un escalier pour l'église
ainsi que les salaires des employés municipaux. Le 14 décembre,
remise à Marty, résidant à Cruzy, du PV de réception provisoire
des travaux exécutés, le métré définitif des travaux du premier
lot d'adjudication pour la somme de 15230 F 12 cts.
1864
Le
1er février, "délibération du conseil municipal de la
commune d'Ouveillan sur les nouvelles ressources à créer pour faire
face à l'excédent des dépenses que doivent occasionner les travaux
de dessèchement de l'étang d'Ouveillan", à laquelle est
jointe un rapport de l'ingénieur du service hydraulique qui fait le
point de la situation. En 1857, les travaux avaient été évalués à
122000 F. En 1863, ils sont augmentés de 74000 F répartis entre
l'Etat (33300 F), le département (7400 F) et la commune (33300 F).
La participation de la commune était de 45000 F et en votant une
imposition extraordinaire de 20 centimes sur 30 ans, elle peut
récupérer 28800 F. Par ailleurs elle possède quelques biens
estimés à 50 ou 60000 F par le maire qui ne veut pas se retrouver
étranglé. Le rapport précise que l'Etat avait déjà augmenté sa
participation de 59200 F le 24 juillet 1863 et que la commune devait
fournir la somme de 14800 F correspondant à l'imposition
extraordinaire de 20 cts sur 20 ans. Le conseil municipal propose
donc d'imputer les 14800 F à la charge des propriétaires, la plus
value des terrains devant dépasser la somme de 36800 F mais annule
le projet de construction de la nouvelle mairie car l'estimation des
biens communaux ne dépasse pas 27000 F alors que le projet de mairie
est estimé à 30000 F. Le rapport conclut qu'il convient que la
commune revienne sur son refus de continuer les travaux au risque de
devoir rembourser les avances de l'Etat et du département, soit
30000 F. Le 19 mars, le conseil municipal, assisté des
citoyens les plus aisés, délibère pour la continuation de l’œuvre
entreprise et d'y consacrer les moyens nécessaires avec l'aide de
l'Etat et du département. Il affecte aux travaux un supplément
d'imposition extraordinaire de 20 cts pendant 11 ans (soit 5864 F) et
le produit de la vente des biens communaux que les bénéficiaires
ont été contraints de payer au prix estimé soit la somme de 27213
F. Le 9 juin, l'Etat accorde une subvention de 33000 F au
projet et le 27 août, le Conseil général vote 7700 F
d'allocation pour les travaux supplémentaires.
Impressionnant, je vais mettre sur FB les photos faites lors d'une reconnaissance des 5 puits !
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